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La rose du Petit Prince s’appelle Consuelo
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Juillet 2022 | Temps de lecture : 20 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « A la rencontre du Petit Prince » présenté au MAD à Paris jusqu’au 26 juin 2022.

Antoine de Saint-Exupéry a dédié Le Petit Prince à Léon Werth, son ami et soutien indéfectible, romancier, essayiste, critique d’art et journaliste français aussi antimilitariste et anticolonialiste que lui, dont il avait fait la connaissance en 1931 à l’occasion de la remise du prix Femina pour « Vol de nuit ». Mais toujours il regrettera de ne pas l’avoir également dédié à Consuelo, sa femme, son amour. Car la rose du Petit Prince, c’est elle. Et pourtant, « jusque dans les années 2000, elle a été ignorée par les biographies d’Antoine de Saint-Exupéry », rappelle l’écrivain biographe Alain Vircondelet, cité dans L’Oeil ce mois-ci par Marie Sawisza, dont l’idée géniale est de raconter l’histoire de Consuelo de Saint-Exupéry à l’occasion de l’exposition « A la rencontre du Petit Prince » qui se tient au Musée des Arts Décoratifs à Paris jusqu’au 26 juin.

Il s’agit de la première grande exposition en France consacrée à ce chef d’œuvre intemporel de la littérature, d’autant plus sacralisé après la disparition tragique de son auteur en 1944, mort pour la France, qu’il en est devenu le testament spirituel. Grand humaniste, Antoine de Saint-Exupéry était plus qu’un écrivain et un aviateur. Les innombrables dessins et croquis semés au fil de ses manuscrits, courriers et autres travaux d’écriture en font un artiste complet. La poésie est là partout qui témoigne de son élévation spirituelle : l’aviateur ne prenait pas seulement de la hauteur en tirant sur le manche de tableau de bord.

Il vient tout juste de publier son premier roman, « Courrier Sud », lorsqu’il rencontre Consuelo en 1930 lors d’une réception dans les salons de l’Alliance française en Argentine. Elle est alors la veuve d’Enrique Gomez Carrillo, écrivain né en 1873, consul d’Argentine et propriétaire d’une revue de mode, au bras duquel elle a enchanté pendant deux ans les cercles littéraires et artistiques parisiens, fréquentant aussi bien Maeterlinck que Verlaine, Oscar Wilde, Colette ou Georges Clémenceau… On l’y avait baptisé le « petit volcan », elle qui était née Suncin-Sandoval le 16 avril 1901 au Salvador, pays aux vingt-cinq volcans… comme en comptera bientôt la planète du Petit Prince.

Enrique Gomez Carrillo, rencontré chez le portraitiste Kees van Dongen en 1926, était le second mari de Consuelo. Cette fille d’un exploitant de café salvadorien avait en effet très tôt obtenu de ses parents l’autorisation de vivre et d’étudier l’anglais et les arts plastiques à San Francisco, mais avait dû épouser un militaire mexicain, Ricardo Cardenas, pour échapper à l’homme choisi par sa famille. C’est d’ailleurs avec lui qu’elle avait fait la connaissance au début des années 1920 du fameux peintre muraliste Diego Rivera à Mexico, et de Frida Kahlo. Consuelo sera officiellement veuve en 1926 à la mort de Ricardo Cardenas, mais ils étaient déjà séparés depuis longtemps car leur union de sauvetage n’avait pas duré plus d’un an.

Elle est par contre anéantie par le chagrin à la mort de son second époux dont elle a été follement amoureuse. Son bavardage dans un drôle de français séduit toutefois immédiatement Antoine de Saint-Exupéry lors de leur première rencontre. « Elle était brune et menue : il y avait une telle beauté sauvage dans ses yeux noirs, il soufflait un tel vent de fantaisie dans ses propos qu’il en fut ensorcelé », écrit Curtis Cate, son biographe. L’homme est prêt à tout pour séduire et enlever sa belle. Ca tombe bien : il est directeur de l’Aéropostale en Argentine. Plutôt que la laisser rentrer en taxi, il l’invite donc à faire son baptême de l’air, là tout de suite maintenant. Et il enchaîne les loopings jusqu’à ce qu’elle accepte sa demande en mariage pour pouvoir atterrir !

Leur histoire d’amour sera toujours à l’avenant de ces débuts extravagants. Montagnes russes, loopings entre folie et mélancolie, faste et pauvreté. Ils se marient à Nice en avril 1931, Antoine intègre Air France, multiplie les infidélités, et son caractère fantasque, voire infantile fera souffrir Consuelo pour le restant de ses jours. La correspondance du couple éditée par Gallimard en 2021 témoigne autant d’un amour dévorant que de leur impossibilité à vivre ensemble. Il n’empêche qu’elle est sa muse. Elle dessine, raconte des histoires fabuleuses avec une imagination débridée, fait de la sculpture… Elle l’inspire comme une sorte de double poétique.

Quand elle le retrouve à New York au début des années 1940, Consuelo retrouve aussi les artistes et poètes qu’elle a connus en France : Ernst, Breton, Duchamp, Dali, Man Ray, Tanguy… Sa nouvelle amie Peggy Guggenheim l’encourage à peindre, comme l’avaient fait avant elle Picasso et Derain, vantant son talent de coloriste. Consuelo prend confiance en elle. Son extravagance s’épanouit à merveille aux côtés des excentricités de Dali et Gala, elle enchante la compagnie avec ses saynètes baroques, tandis qu’au contraire son mari se sent mal à l’aise face à tant de fantaisie créative. Il s’isole pour écrire « Citadelle ». Et tombe dans la dépression à partir de 1942.

Consuelo leur trouve une maison où se réfugier à Long Island, où vont naître les premiers dessins du Petit Prince. Pendant qu’elle peint ses toiles aux couleurs vives, Antoine utilise crayons de couleur et aquarelles aux teintes pastel pour camper un conte au message universel. Dans lequel il met toute la substance de sa relation avec Consuelo. Dans lequel un Petit Prince rencontre une rose unique au monde… et où chacun apprend doucement à s’apprivoiser. « Le Petit Prince » est le dernier ouvrage publié du vivant de Saint-Exupéry, en 1943 aux Etats-Unis, mais il ne paraitra en France qu’en 1946.

En point d’orgue de l’exposition parisienne, on peut déceler toute cette histoire dans le manuscrit original du Petit Prince, conservé à la Morgan Library & Museum de New York et qui a traversé l’Atlantique pour la première fois. Autour de lui se déploient plus de 600 pièces célébrant les multiples facettes de Saint-Exupéry, dont beaucoup d’œuvres d’art inédites comme aquarelles, esquisses et dessins, mais aussi photographies, poèmes, coupures de journaux et extraits de correspondance.

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