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L'ANNUAIRE OFFICIEL DES ARTISTES CONTEMPORAINS
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Une peintre à suivre à la lettre
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Juillet 2022 | Temps de lecture : 24 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « A comme Boa » d’Agnès Thurnauer au LaM à Villeneuve-d’Ascq (59) jusqu’au 26 juin 2022.

Pour Agnès Thurnauer, les mots sont des images, les images sont des mots, et tout son travail est langage dans l’espace. Vous voyez ces badges géants et colorés qui font changer de genre des artistes célèbres ? C’est elle. Entre autres œuvres d’art. Gros succès en 2009 de l’exposition « Elles@centrepompidou », ses fameux « Portraits grandeur nature » nous présentaient typographiquement Annie Warhol, Francine Picabia, Eugénie Delacroix ou Louis Bourgeois… au point de presque nous en faire oublier le reste du travail de cette artiste franco-suisse née en 1962 à Paris. Qui a toujours mis les pieds dans le plat de la peinture, y compris en des temps où le médium n’avait plus la cote, mais alors plus du tout.

N’en étant pourtant pas à une contradiction créative près, c’est une formation en cinéma qu’elle choisit quand elle s’inscrit à l’Ecole des arts décoratifs, dont elle sort diplômée en 1985. Elle qui peignait depuis l’âge de trois ans préférait sans doute poursuivre son œuvre en autodidacte, et surtout loin des règles du marché de l’art contemporain. Et quand le Palais de Tokyo, temple de la création contemporaine alors particulièrement hostile à la peinture, lui donne l’occasion en 2003 d’une première exposition personnelle, elle n’hésite pas… et n’y présente que des tableaux ! Une audace qui paiera puisque « Les circonstances ne sont pas atténuantes » remportera un franc succès, et fera connaître l’œuvre d’Agnès Thurnauer comme déjouant tous les codes, abolissant les frontières entre abstraction et figuration, réconciliant le sensible et le conceptuel… Bref, la totale !

Elle initie ses « Peintures d’histoire » en 2005 à la Biennale de Lyon. Un texte occupe tout l’espace de la toile sur laquelle elle peint les personnages, souvent féminins, de tableaux aussi célèbres que l’Olympia de Manet ou La Chambre bleue de Suzanne Valadon. Mais elle s’attaque aussi bientôt à des sujets dont la portée est encore plus directement politique, comme en 2016 sa série de grands tableaux « Land and Language », construits sur une trame de mots écrits par le poète anglais Rod Mengham, inspirés d’images d’actualité et traversés d’une diagonale de gestes de solidarité d’hommes et de femmes traversant les frontières.

Pour Agnès Thurnauer, écrit Anne-Charlotte Michaut dans la revue L’Oeil de ce mois de mai, « le langage est une matière ». Puisque les mots sont selon l’artiste des « organismes vivants », des « poches de sens », elle les sectionne sur des diptyques, dans sa série des « Prédelles », pour mieux en révéler toutes les potentialités sémantiques et symboliques. « Sur la surface de la toile, le scriptible est là comme un espace, au même titre que les formes, les couleurs, les figures », estime la plasticienne. Est-ce parce qu’elle a grandi avec un frère qui ne parlait pas, que la question du langage est omniprésente dans l’œuvre d’Agnès Thurnauer ? Peut-être. Son intérêt pour les fonctions du langage allant bien au-delà de la simple communication ne date en tout cas pas d’hier.

Depuis 1998, l’artiste expérimente tout dans son atelier niché au bord des voies de chemin de fer à Ivry-sur-Seine. Un lieu dont elle parle comme de « sa grotte ». Un lieu à elle. Où elle écrit ses journaux d’atelier dont une première partie a été publiée en 2014, et dont paraîtra bientôt la suite. Parce que forcément, elle écrit comme elle peint. Comme elle respire.

Un lieu où elle a besoin de la présence constante d’une trace au moins de toutes ses séries picturales et sculpturales pour alimenter son inspiration. Une série baptisée « Mapping the Studio » débutée en 2003 témoigne d’ailleurs de ce rapport privilégié à l’atelier. Qui représente littéralement pour elle une sorte d’assistant, avec lequel elle « coproduit » ses œuvres d’art contemporain dans une pratique tenant tout autant du conceptuel que de l’instinct.

Agnès Thurnauer dans son atelier dans River Tongue en cours de réalisation, décembre 2021 (image Musée LaM)

Agnès Thurnauer dans son atelier dans River Tongue en cours de réalisation, décembre 2021 (image Musée LaM)

Au fond, Agnès Thurnauer habite les mots. Car depuis 2012, ils sont carrément sortis de sa toile ! Avec le projet « Matrices », son travail pictural désormais s’étend, se répand, et l’écriture devient sculpture. La pièce inaugurale de l’exposition « A comme Boa » qui lui est actuellement consacrée au LaM, le musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole, à Villeneuve-d’Ascq (59), est une installation en trois dimensions qui se déploie au sol. Elle est intitulée « River Tongue », « comme une rivière de langage ouverte aux déambulations du regard », précise la plasticienne. En verre coloré, elle l’a pensée pour dialoguer avec « Nature morte espagnole, Sol y sombra », un des premiers tableaux de Picasso où il introduit des mots, appartenant à la collection du LaM. Mais les « Matrices » monumentales, ses lettres en creux et fragmentées formant un alphabet de différentes tailles et de différentes matières se déploient aussi ailleurs dans cette exposition, non loin de quelques « Prédelles ». Le tout dans un dispositif sonore immersif qui offre littéralement au visiteur d’habiter lui aussi le langage tout autant que l’espace. Pour Agnès Thurnauer, il s’agit là d’une véritable invitation. Car elle en est convaincue : habiter le langage, c’est s’ouvrir à l’autre.

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