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Maurice Denis élève le débat
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Décembre 2021 | Temps de lecture : 10 Min | 0 Commentaire(s)

À propos de l'exposition Maurice Denis – Bonheur rêvé
Jusqu'au 29 mai 2022

 

Pourquoi s'arrêter sur cette toile de Maurice Denis intitulée Eve dans la forêt qui semble comme égarée au sein des pages du Beaux-Arts de ce mois ? Parce qu'au milieu d'une iconographie qui se veut tantôt glam tantôt sobre mais léchée estampillée FIAC 2021, surgit soudain un tableau diaphane habité par un esprit. L'Esprit. Tout le reste en semble sympathique, séduisant certes mais creux. Dans un tel contexte, bienvenue au nabisme. Car le réel repasse soudain grâce à lui en 4D. Enfin. Pourquoi ? Parce que le spirituel tant vanté par ailleurs en art, n'est pas ici un mot pratique pouvant justifier facilement l'hermétisme auquel se condamnent les œuvres qui n'ont rien à dire.

Chère à cet émule de Gaughin que fut Maurice Denis, la dimension spirituelle n'est pas le nom du flou. Elle n'est pas un alibi fumeux à son vide renvoyant aux secrets d'une personnalité nécessairement torturée dont il est de bon ton d'affubler systématiquement les artistes, ces pauvres êtres hyper-sensibles livrés malgré eux à la cruauté du monde. La dimension spirituelle de l'art de Denis est profondément structurante de cette Eve dans la forêt non dénuée de relents de Déjeuner sur l'herbe de par sa nudité prosaïquement livrée en un écrin naturel.

Sauf qu'ici tout n'est que verticalité. Excepté Adam, qui est montré dans le coin inférieur droit du tableau de trois-quarts dos en position de spectateur scotché devant la beauté de cette femme qui s'expose et nous regarde dans les yeux au centre de la toile. Au centre en largeur mais non en hauteur. Car Eve est et n'est pas le sujet de la toile. Est-elle pour autant une somptueuse diversion ? À l'inverse du Rêve du Douanier Rousseau, c'est en hauteur et non en largeur que le décor naturel invite le cadre à ne pas se centrer sur l'humain. Comme pour mieux mettre en valeur l'écrin de verdure dans lequel est posé cet appât aux charmes dénudés. La nature chez Denis ne foisonne pas horizontalement.  Elle préfère l'extension verticale plus austère de troncs rose pâle qui poussent à des hauteurs telles qu'ils en parviennent à maintenir hors champ de façon suggestive leurs frondaisons. Le Très Haut n'est pas représenté. Mais tout conduit vers lui le regard. Entre ma mimesis et l'abstraction, se réinvente un espace tiers appelé évocation.

Avec ses bras relevés au-dessus de sa tête, mains jointes, pour enserrer un bouquet d'une blancheur virginale, Eve, nous fixe, offerte. Mais les jambes pudiquement croisées ce qui évite toute détermination provocatrice d'Amazone. On fait le truc, mais timidement. Comme s'il s'agissait d'une première. On s'aventure, on se risque hors de la vie. Comme si cette dernière ne suffisait pas. Ni à Adam, d'ailleurs, visiblement bluffé par l'audace pudique mais résolue de sa femme qui le réduit pourtant à un rôle de figurant proche du caudalisme. Car c'est bien une séduction visuelle, un happening très particulier qui constitue le sujet d'une œuvre en laquelle l'érotisme est présent mais pointé comme insuffisant. Amour en demande publique de sublimation.

 

Illustration : Maurice Denis Eve dans la forêt 1924

 

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