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Photo à l'arrivée pour Markosian
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Février 2022 | Temps de lecture : 19 Min | 0 Commentaire(s)

À propos de Paris Photo du 11 au 14 novembre 2021


Il ne faut pas grand-chose finalement pour réaliser une photographie d'art qui se remarque. Diana Markosian y parvient très bien en réunissant le strict minimum d'ingrédients nécessaires dans le cadre de The Arrival, America, from Santa Barbara. Faisons le compte. Et commençons par les trois échantillons d'humanité qui seraient parfaitement au centre de la photo et non légèrement tirés vers le bas si Diana Markosian n'avait pas décidé de donner plus de champ au ciel. Ne serait que pour accueillir dans le cadre quelques moutons nuageux effilochés. Il devait passer par là et ont gentiment accepté de jouer les figurants bénévoles. Histoire que les nues soient moins nues.

Mais revenons à nos humains. Et tant pis si ce ciel surdimensionné en fait des nains. Tout le monde est vu de dos, joliment aligné. Maman est au centre comme il se doit. Car Papa n'est pas là. Disparu mystérieusement comme Joseph dans la Bible. Fifille lui tient la main gauche et Fiston la droite. Sweet family, comme le chantait Jim Morrison dans Riders on the storm. Sweet family will die, pour être exact. Quitte à souligner le malaise existentiel qui plane de toute évidence sur cette scène de théâtre minimaliste.

Récapitulons. Nous avons un désert sous un ciel devant une adulte encadrée par deux enfants formant un trio de deux femelles et un mâle photographié de dos. L'auteur du cliché pourrait être le père joué par Diana Markosian qui signe la photo. Et c'est tout ? Presque. Au rayon stylisme, à part les costumes choisis aussi anodins que possible, il convient de mentionner la valise liliputienne que Maman tient dans sa main gauche. Son fils serait-il kleptomane ? Ou serait-ce une mission plus féminine de porter le baluchon collectif familial ? La fillette serait ainsi idéalement placée pour prendre le relais dans ce premier rôle féminin en cas de de brusque défaillance maternelle ?

Même sans avoir lu le titre de l'œuvre, le message est assez appuyé par le dénuement ambiant. Des réfugiés ! Des migrants ! Ou alors des évadés des eighties de Paris Texas ou Bagdad Café. Les pauvres ! Ils ont fui l'enfer et voilà qu'au lieu de la terre, ils débarquent en plein vide interstellaire. Car il n'y a vraiment rien. Du sable, de la caillasse et… un tapis rouge au bout duquel nos héros du quotidien sont parvenus en échouant sûrement hébétés. Ils doivent être bouche bée. Leur sidération se voit même de dos. Elle est bien jouée. Ce satané tapis rouge si caricatural qu'on le dirait photoshopé sur un cliché de descente d'escalier au Festival de Cannes. Et cliché est le bon mot. Il vaut pour tous les éléments de cette image aux signes saturés en signifiés.

Tout est convenu et d'un sens d'une évidence obscène mais pourtant l'œuvre fonctionne. La pauvreté ascétique de cette photo composée comme un tableau évite à Diana Markosian de sombrer dans le lourdingue. Sa prise de vue est trop maigre, trop légère, pour risquer de l'entraîner vers le fond. On voit bien la mise en abyme proposée dans laquelle les personnages sont situés dans le même axe que nous, sur le même tapis de fil rouge qui nous relie. Ils sont tout aussi spectateurs comme nous. Nous, les spectateurs du vide. Migrant vers nulle part. En position pause de la caméra devenue de facto appareil photo. Comme si l'objectif était pour Markosian, l'outil idéal pour saisir un monde figé à là De Chirico. À l'arrêt.

Ce tapis si rouge qu'on ne voit que lui, c'est le glamour qui piège, la séduction qui déçoit, la machine à désillusion, la publicité. Venez et vous verrez, disait le slogan ! On verra quoi ? Le désert. Car, en dehors du tapis rouge des médias, il n'y a rien. Désolés. Mais Diana Markosian ne nous dit pas autre chose. Elle construit son image en commençant par créer le vide aftn qu'on la repère. Comme un pub. Elle compose minutieusement son décor, sa scène. Comme une pub. Elle veille, dans son économie de moyens, à ce que chaque détail véhicule bien la signification voulue. Verdict ? The Arrival, America, from Santa Barbara est une photo de publicité. Gaulée nickel dans les règles du genre.

Et alors ? Où est le mal ? Diana Markosian doit-elle être brûlée comme sorcière parce qu'elle aurait utilisé toute la palette rhétorique des marchands du temple ? Par principe. Disons plutôt que nous avons affaire à une photographe qui a capté les codes visuels de son époque. Elle sait comment une photo peut magnétiser les regards. Mais l'art ne vise pas par essence la confidentialité. Cela se saurait.

Markosian a saisi comment notre œil décode les signes. Et elle en joue. Avec trois fois rien. Pub peut-être mais pas peplum. Et puis, ne l'oublions pas, l'artiste n'a rien à vendre. À part le désert. Si sa photo est une pub, il s'agit d'une pub pour rien. Insatisfaction garantie. C'est le parcours de l'œil dans le cadre qui compte, ses doutes, ses arrêts, ses retours. Parce qu'à l'arrivée…

Légendes de l'illustration : The Arrival, America, from Santa Barbara – Diana Markosian 2019

 

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